C’est l’histoire d’une partie de jambes en l’air. D’un côté, Catherine*, une quinquagénaire atteinte de sclérose en plaques désireuse de renouer avec la chair. De l’autre, Fabrice, qui monnaie ses services en tant qu’“accompagnant sexuel” pour les personnes en situation de handicap, comme quelques dizaines d’autres professionnels. L’occasion pour l’un et l’autre de réaffirmer haut et fort: oui, tout le monde a droit au sexe. Récit croisé d’un cinq-à-sept.
“Il m’a aidée à prendre ma douche, puis il a pris la sienne avant de m’aider à m’installer sur le lit. À chaque étape, il me demandait si j’étais à l’aise. Il avait de la maîtrise, aucune frustration. C’était un peu comme baiser avec un bon pote, sans trop de séduction, mais avec beaucoup de confiance.”
Cette rencontre tarifée avec Fabrice, à l’automne 2020, Catherine* s’en souvient dans ses moindres détails. Diagnostiquée d’une sclérose en plaques il y a quinze ans, cette femme d’une cinquantaine d’années, mère de trois enfants, a pourtant longtemps hésité avant de recourir à une transaction de ce genre. “Pour une personne comme moi, en fauteuil, atteinte d’une maladie neurodégénérative qui m’empêche d’aller aux toilettes seule, rien que dépasser le palier du premier verre était un défi.” À la maladie, Catherine cumule un isolement affectif et professionnel: divorcée depuis 2007, l’année de son diagnostic, elle doit rapidement s’arrêter de travailler. Pour continuer à marcher, elle s’aide d’abord d’une canne, puis d’une deuxième, avant de se résoudre au fauteuil roulant. “J’étais de plus en plus seule, je n’avais aucune famille dans ma ville, plus de collègues, de moins en moins d’amis. Pourtant, je suis quelqu’un de très sociable, je suis dans plusieurs associations, je fais du sport. Mais quand tu es lourdement handicapée, tu deviens vite indésirable, l’inverse de la personne bankable”, lâche-t-elle en riant.
Les mois passant, Catherine se met aux sites de rencontre type Meetic, Tinder ou OkCupid. “Je tombais sur de faux profils, des gens qui vendaient des services tarifés, des connards qui fuyaient dès qu’on parlait handicap. Alors que c’était dans ma bio!” Amère, cette mère de famille réalise qu’il est de toute façon trop dangereux d’ouvrir les portes de chez elle à un inconnu pour un coup d’un soir: elle est trop vulnérable. Difficile également de se déplacer étant donné le peu d’aménagements dans sa ville. “Des copines m’avaient dit en rigolant qu’elles pouvaient rester postées devant chez moi pour surveiller. Finalement, je n’ai jamais dépassé le stade du verre, pas vraiment séduite par ceux que je rencontrais. Une fois, j’ai rencontré un mec qui faisait quinze kilos de plus que sur sa photo, ça refroidit!”
Déçue, mais certainement pas désespérée, Catherine tergiverse, puis se résout à décrocher son téléphone pour appeler l’APPAS, l’Association française pour la promotion de l’accompagnement sexuel. Depuis 2002, cette dernière propose une aide à la vie affective à la vie affective, sensuelle et sexuelle aux personnes en situation de handicap. Ciel, de la prostitution? “À l’APPAS, nous répondons: ‘Oui, une prostitution spécialisée’”, détaille la très didactique FAQ de l’organisme. Et de rappeler qu’en France, elle n’est ni prohibée ni encadrée, et donc libre. Reste que la loi interdit à tout client de “solliciter, accepter et obtenir une relation sexuelle en contrepartie d’une rémunération”, dixit l’article 611-1 du code pénal. “Je ne le savais pas, moi je voulais passer du bon temps, être bien accompagnée, quoi”, détaille Catherine.
Point vocabulaire: dans le milieu, on parle d’accompagnement sexuel, parfois d’aide sexuelle. Jamais d’assistance sexuelle, qui renvoie à l’idée du secours et de la rescousse, créant une relation asymétrique entre un sauveur et un sauvé. Soit l’inverse de la philosophie de Catherine. “Après l’appel avec l’asso, je pensais recevoir un catalogue avec différents profils. Après tout, on parle d’une relation sexuelle tarifée, et je n’avais jamais entendu un mec ne pas avoir le choix entre deux prostituées. Mais moi, parce que je suis handicapée, à la place du choix sur catalogue, j’ai reçu un appel de Fabrice.”
Par Romain Salas
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