Visuel Houzouz Bouazzaoui, écrivain public © DR
11.11.22

Houzouz Bouazzaoui, écrivain public

Formulaires de Sécu, CAF ou impôts, lettre de motivation, CV: aucune démarche administrative ne résiste à Houzouz Bouazzaoui. Ce personnage discret exerce la profession d’écrivain public à Tourcoing, à la Bourgogne, quartier prioritaire de la politique de la ville. Un rôle social indispensable alors que de nombreux habitants souffrent d’illettrisme ou d’une maîtrise approximative de la langue française.

En ce début d’après-midi de janvier, le soleil perce timidement à travers un ciel parsemé de nuages. Sur la place de la Bourgogne, dans le quartier du même nom à Tourcoing, un bâtiment se dresse, comme une apparition divine: alors qu’une brume vaporeuse enveloppe le paysage, le centre social, lui, baigne dans un halo de lumière. Et si le salut s’y trouvait? À l’intérieur du bâtiment, de longs couloirs entrecoupés de portes battantes – avec un petit air d’hôpital, mènent à une enfilade de bureaux. Celui d’Houzouz Bouazzaoui, niché dans un recoin, est à l’image du personnage: discret. Un espace sans prétention ni fenêtre, où il s’installe derrière un plexiglas qui fait office de protection sanitaire. Houzouz Bouazzaoui est ce qu’on appelle un écrivain public. Son travail consiste à accompagner les habitants du quartier pour leurs démarches administratives. Documents pour la Sécu, la CAF, ou Pôle Emploi, régularisation de titres de séjour, rédaction de CV ou de lettre de motivation, Houzouz connaît tous les secrets des formulaires les plus sibyllins et laisse sa porte ouverte à qui en a besoin. Une vingtaine de personnes la poussent chaque jour, tous âges confondus.

© DR

Ce vendredi, Zoulikha, 49 ans et mère de quatre enfants, entre dans le bureau d’Houzouz, manifestement inquiète. Son mari vient de recevoir une lettre de radiation de Pôle Emploi, ce qui signifie l’arrêt immédiat du versement des allocations chômage. Or, il s’agit actuellement de la principale source financière du foyer. La mère de famille souhaite donc s’en remettre à l’écrivain public pour contester la décision. “Il m’arrive régulièrement de le solliciter. C’est formidable de pouvoir compter sur lui”, explique-t-elle. C’est qu’Houzouz a plus d’un tour dans son sac. “Avec le temps, j’ai appris toute sorte de subtilités pour faire face aux rouages de l’administration, enchaîne l’écrivain public. La lourdeur administrative est telle, parfois, que je comprends que certaines personnes se sentent dépassées. Surtout les personnes étrangères, qui sont nombreuses dans le quartier.”

Une autre dame, grands yeux bleus et foulard dans les cheveux, patiente dans le couloir. Elle ne maîtrise pas le français et peine à expliquer le motif de sa venue. Houzouz s’en charge. “Le droit de séjour de cette femme d’origine algérienne était toléré parce qu’elle était mariée à un homme français. Mais comme le couple divorce, elle s’est vu notifier l’obligation de quitter le territoire, et elle ne peut plus prétendre à des aides sociales. À 68 ans, elle n’a plusrien pour vivre. On essaye donc d’engager des recours.” Comme un avocat et sa cliente cherchant des failles dans le dossier. Mais Houzouz affiche une moue contrariée. “Cette femme a perdu goût à la vie, on lui a diagnostiqué une dépression, à tendance suicidaire. J’espère qu’elle pourra s’en sortir.”

Urgence sociale

Tel est le quotidien d’Houzouz, lequel donne un aperçu des problématiques qui rongent ce quartier classé quartier prioritaire de la politique de la ville. Car c’est peu dire que la Bourgogne souffre d’importantes difficultés sociales. Ici, 58% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté selon l’Insee, quand le revenu médian par habitant s’élève à 6940 euros brut par an. Ce sombre tableau ne serait pas complet sans dire qu’un quart de la population est actuellement au chômage, et que près d’un jeune sur trois est concerné. Un constat d’autant plus dramatique qu’il ne date pas d’hier. Ancienne ville ouvrière spécialisée dans le textile, la ville de Tourcoing a subi de plein fouet la désindustrialisation achevée à la fin des années 1980. Avec comme conséquence, un chômage de masse et un sentiment de déclassement chez les habitants, qui semble même se transmettre de génération en génération, selon Houzouz. “Il y a un sentiment d’assignation à résidence ici. Les jeunes sont cloués au bitume de leur quartier, ils ne croient pas en leur avenir.”

Cette situation sociale, Houzouz l’a connue depuis qu’il s’est installé dans le quartier. Né au Maroc dans la petite ville de Ben Slimane, il s’envole vers la Belgique à l’âge de 20 ans pour suivre des études de traduction et d’interprétation à Bruxelles. Diplôme en poche, il pose ensuite ses valises en 1984 à la Bourgogne, qu’il ne quittera plus. À son arrivée, il est saisi par la situation du quartier. Houzouz laisse alors la traduction de côté, et s’investit énergiquement dans le tissu associatif local. “L’urgence sociale était telle qu’il fallait immédiatement faire quelque chose. J’ai réagi à l’instinct.”

Houzouz Bouazzaoui, écrivain public Je suis en quelque sorte le trait d’union entre la population et les institutions. Ce sont deux mondes qui n’arrivent plus à se parler.

En 1990, il cofonde l’association Objectif emploi, dont le nom résume bien sa vocation. Installé dans le centre social de la Bourgogne, le projet périclite en 2014, faute de subventions suffisantes. Pour remettre le pied dans l’action sociale, Houzouz réfléchit à une nouvelle activité qui pourrait être bénéfique pour le quartier. “J’ai remarqué que de nombreux habitants ne maîtrisaient pas la langue française, ni à l’oral ni à l’écrit. Des lacunes qui pouvaient leur causer des difficultés dans leur quotidien. J’ai aussi été maintes fois confronté à des problèmes d’illettrisme.” Il crée alors en 2015 une permanence d’écrivain public. Un projet lancé en solitaire, sans l’aide des pouvoirs publics. “Quatre ans après le début de mon activité, j’avais suffisamment d’expertise et d’expérience de terrain pour légitimer mon rôle d’écrivain public auprès de la ville. Et celle-ci a reconnu immédiatement que j’avais désormais un rôle d’utilité publique dans le quartier. Depuis, je poursuis mon rôle d’écrivain public sous contrat public.”

Houzouz est aujourd’hui le seul écrivain public de Tourcoing à temps plein, quand la ville voisine, Roubaix, confrontée à des problématiques sociales similaires, en compte quatre. Mais à l’écouter, Houzouz est aujourd’hui devenu plus qu’un écrivain public. “Comme je suis quotidiennement en lien direct avec la population, la ville m’a affublé du rôle de ‘veilleur social’. Autrement dit, celui de remonter tout ce qui se passe sur le terrain et faciliter ainsi la prise de décision dans les politiques publiques du quartier. Je suis en quelque sorte le trait d’union entre la population et les institutions. Ce sont deux mondes qui n’arrivent plus à se parler.”

Article issu du n°9 du magazine So good, sorti en kiosque le 7 juillet 2022.

Propos recueillis par Simon Henry.