Visuel Gaël Musquet est le Robin des Bois du net
24.02.23

Gaël Musquet est le Robin des Bois du net

Gaël Musquet aurait pu rejoindre les Anonymous ou pirater des cartes bleues. Mais il a choisi de préparer ce monde à ce qui l’attend: de plus en plus de catastrophes naturelles. Grâce à la tech’, le gentil hacker crée de nouvelles solutions pour les prévenir et aider les populations à les surmonter.

Pour Gaël Musquet, ce n’est surtout pas le moment de ralentir le rythme. Nous sommes le 17 février, et le jeune quadragénaire arrive directement de Vernon, en Normandie, via un réseau ferroviaire pas tout à fait remis des grèves de fin 2019. “Estimated time of arrival: 5 minutes”, envoie-t-il par texto. Il ne faut pas perdre de temps, car le météorologue de formation a beaucoup à raconter: il revient du camp de Zaatari à la frontière jordano- syrienne, où 80 000 réfugiés tentent tant bien que mal de reprendre le cours de leur vie en attendant des jours meilleurs. “Il y a beaucoup de fraude et de violences à cause de la gestion complexe de l’eau”, raconte-t-il. Sur place, il est allé prêter main-forte à un groupe de développeurs syriens qui tentent de mettre sur pied une application permettant à tout le monde de s’hydrater dans des conditions décentes. Avant, c’était en Côte d’Ivoire et au Rwanda que Gaël Musquet était parti prêter assistance. “Je suis allé faire l’éponge là-bas, détaille-t-il, apprendre à gérer une distribution d’eau, un problème de rareté, tout ça au milieu d’une tension sociale évidente.”

S’il est sur tous les fronts, c’est que le chaos n’est jamais très loin. En vrac, il cite les feux qui ont pris d’assaut le Portugal en 2017, tuant une centaine de personnes, ceux qui ont ravagé l’Australie plus récemment et même la Suède l’été dernier. “Les catastrophes naturelles n’arrivent pas qu’aux autres, hein!” dit-il. Selon le dernier rapport du Commissariat général au développement durable, publié en 2019, six Français sur dix seraient concernés par les risques climatiques. Attablé à une terrasse de café, Gaël Musquet hausse les épaules: “On a merdé, tout le monde a merdé. Mais avec la jeune génération, on peut faire partie de la solution. C’est le message que j’essaie de porter.”

Être hacker, culturellement, c’est un enfant qui n’a jamais arrêté de dire pourquoi.


Pour donner de la voix, il a sa méthode, et ses compétences de hacker. Loin des bandits d’Internet, sa définition à lui est simple: “Être hacker, culturellement, c’est un enfant qui n’a jamais arrêté de dire pourquoi. Je veux constamment comprendre comment les choses fonctionnent.” Demander pourquoi donc, décortiquer, comprendre et trouver des solutions dans l’intérêt général. Voici la recette de ce “hacking citoyen” que Gaël Musquet a décidé d’adopter et de promouvoir, à rebours d’une grande partie du monde de la tech et ses envies de gros sous. “Il croit en l’idée que le numérique doit avoir une fonction dans la société, explique Jean-Baptiste Roger, ancien directeur de la Fonderie, l’agence numérique d’Île-de-France. Ce n’est pas uniquement un moyen d’efficience économique, mais ça peut aussi avoir un rôle positif.” Ce collègue de longue date de Gaël Musquet note en riant que si beaucoup de gens travaillent aux levées de fonds des start-up, beaucoup moins répondent présents quand il s’agit de crise sociétale. “De notre côté, on a toujours considéré que la génération Internet avait un rôle à jouer en tant que fournisseur de solutions”, conclut- il. Surtout maintenant, alors que la planète fait face à l’un de ses plus grands défis avec un réchauffement climatique chaque jour un peu plus menaçant.“On est tous potentiellement victimes de ce réchauffement et des catastrophes naturelles qui l’accompagnent”, pointe Musquet. “Lors d’une tempête, si tu as 30 000 foyers privés d’électricité, ça veut dire plus aucune téléphonie et plus d’Internet, détaille-t-il, donc tu peux vite ne plus du tout savoir ce qui se passe autour de toi et être coupé du monde si tu n’as pas un transistor ou une radio à piles.” Sur son téléphone, il en profite pour pointer la photo d’un “manipulateur morse”, sa petite folie du Noël passé:“On n’a jamais rien inventé de plus optimal en radio que le morse, donc si demain, on n’a plus rien, elle est aussi là la solution”, sourit-il.

Drogue, sida et couche d’ozone

Gaël Musquet connaît bien les caprices de la planète. Originaire de la Guadeloupe, il a vu de près les ravages du cyclone Hugo qui n’a pas laissé la maison de ses parents indemne lors de son passage sur les Antilles en 1989. L’histoire récente de ces territoires d’outre-mer est jalonnée de drames climatiques. Gaël se souvient du récit de l’éruption de la montagne Pelée en Martinique en 1902: “Trente mille morts, parce qu’on avait fixé les gens sur les flancs de la montagne en leur disant: ‘Restez, les élections législatives vont arriver!’Derrière ces récits du passé, les parents du jeune garçon le mettent en garde contre trois choses: la drogue qui décime alors les Antilles des années 1980, l’épidémie du sida et le trou dans la couche d’ozone. Pour la drogue et le sida, Gaël se sent plutôt en contrôle de son destin. Pour la couche d’ozone, beaucoup moins. Alors, il devient bientôt étudiant en météorologie et ingénierie, “radio amateur” sur son temps libre, et se penche sur les effets de cette destruction progressive de la couche d’ozone en même temps qu’il se prend de passion pour les cartes, malgré un “piètre sens de l’orientation”, avoue-t-il. Pour la pratique, il devient contributeur d’OpenStreetMap, un projet de cartographie libre, gratuit et ouvert à tous. Une lubie? Non, en réalité, tout est lié. Gaël Musquet: “Pour être météorologue, tu as besoin de cartes afin de pouvoir dire où il se passe quelque chose, et grâce à la radio, tu peux transmettre ces informations. J’étais au carrefour de deux choses très importantes dans une ville: savoir se positionner et communiquer. En les mélangeant, tu as un combo parfait pour connaître ton territoire, ta ville, tes voisins, ton quartier, coordonner à peu près toutes les ressources, et donc anticiper les crises.”

À la fin des années 2000, Gaël n’est pas seul à avoir compris que la tech n’était pas uniquement une histoire de jeunes geeks qui deviennent millionnaires en revendant des idées plus ou moins frivoles à Google ou Facebook. Dans “l’écosystème” comme les connaisseurs l’appellent, on cherche déjà des futurs talents davantage tournés vers la solidarité. Pour ça, on organise des “hackatons”, ces grands rendez-vous de quelques heures ou quelques nuits, où l’on se regroupe pour trouver des solutions, à coups de lignes de code et d’applications improvisées en un paquet de clics. Lors du rendez-vous “Access Transilien” organisé par Latifa Danfakha, co-fondatrice de l’Hermitage, tiers-lieu dédié à la tech dans l’Oise, Gaël montre des “capacités extraordinaires en conception et en fédération d’une communauté”. À l’heure des “révolutions” de l’open data –les données accessibles à tous, publiquement– et de l’open source –des logiciels libres de droits–, les hackers s’organisent. Pour Gaël, c’est le moment d’agir. Les missions s’enchaînent: d’abord au Burkina Faso en partenariat avec la Banque mondiale où il encourage la transparence et l’utilisation collective des données, puis avec Reporters sans frontières pour “donner un coup de main sur comment protéger les journalistes dans les zones de tension, comment communiquer ses articles en crypté avec des moyens limités”. “En même temps, il était toujours contributeur d’OpenStreetMap, et en deux ans environ, c’est devenu un leader de la communauté”, raconte Jean Karinthi, ancien administrateur de SOS Méditerranée et co-fondateur de l’Hermitage avec Latifa Danfakha. Le jeune Gaël démontre rapidement une certaine virtuosité quant à sa maîtrise technique et devient vite“un hacker de génie” selon ceux qui l’ont côtoyé. “J’ai déjà vu Gaël me dire: ‘Ok, on va mettre ce bateau en sécurité’, puis hacker la tourelle de satellites en cinq minutes avec son ordinateur pour nous mettre à l’abri des attaques”, rejoue Jean Karinthi. “En quelques coups de fils à la Marine nationale, il a fait en
sorte de protéger nos équipes en pleine Méditerranée dans des situations parfois
très dangereuses.”
En novembre 2013, le trentenaire s’illustre à l’occasion du typhon Haiyan qui secoue les Philippines pendant une grosse semaine. Dès le début de la secousse climatique, un appel à projets est lancé entre bidouilleurs et experts du monde de la tech: il faut cartographier les zones sinistrées et identifier le type d’aide dont les populations ont besoin. C’est urgent. “On a réussi à se mettre en ordre de bataille, toute cette communauté disparate était en marche, ensemble, vers un même objectif, raconte Latifa Danfakha. On identifiait les routes encore en état,
les infrastructures toujours disponibles. Ça a été un vrai tournant.”

Les gens seront beaucoup plus rassurés si on les pré- vient des risques, si on les informe sur les manières de réagir, plutôt que de leur dire: ‘Dormez bien, on s’occupe de tout !’

Hand tendue

Deux ans plus tard, Gaël Musquet met sur pied l’association HAND, pour Hackers Against Natural Disasters. Ou comment entraîner les populations à faire face aux catastrophes qui les guettent, avant que le chaos ne survienne. Le jeune hacker utilise son expérience dans la cartographie, prépare des “kits” de première nécessité et fournit du matériel facile d’utilisation sur le terrain. Pour ça, il organise plusieurs “expéditions” dans des zones à risques, notamment aux Antilles. Pour la “Caribe Wave” (exercice annuel de prévention des risques de tsunami, organisé par l’UNESCO), HAND se joint aux exercices et simule la tragédie, peaufine un système d’alerte et vérifie que la population acquiert des réflexes qui pourraient lui sauver la vie. Et qui parfois prennent les gens au dépourvu: “Je me souviens des yeux écarquillés de certaines personnes, rit Jean-Baptiste Roger, co-organisateur de ces expéditions, on disait à des profs qu’ils avaient une responsabilité dans l’évacuation de certains habitants, on leur demandait s’ils savaient comment accéder aux hauteurs en cas de tsunami, est-ce qu’ils voulaient qu’on les cartographie, qu’on invente des panneaux.” Dans les hôtels de bord de mer, la petite troupe suggère de constituer des sacs à dos placés dans chaque chambre, contenant 24 heures de nourriture, une lampe de poche, et des cartes pour être prêt à réagir vite et bien. Jean-Baptiste Roger se souvient: “Des gens sont revenus nous voir en disant: ‘Effectivement, on n’est pas tout à fait prêts.’ Ils étaient prêts à changer les choses.”

Et les choses ont changé? Pas tout à fait. Tout le monde trouve les expéditions “géniales” selon Roger, les personnalités politiques du coin débarquent pour “poser devant les appareils photo”, et ensuite? “Dès qu’on disait: ‘Est-ce qu’on peut mettre ça en place à grande échelle?’ là, d’un coup, on nous répondait qu’il y avait ‘des dispositifs’ et qu’il faudrait voir avec ‘monsieur le Préfet’, souffle le co-fondateur de HAND. Car en France, le risque n’est jamais vraiment grave tant qu’il n’est pas concret. “Quand on fait des exercices sur le territoire français, il n’y a pas un seul article, alors qu’au Venezuela, ils ont des spots télévisés!” s’exclame Gaël. Mais les choses, progressivement, s’améliorent: Gaël Musquet et Jean- Baptiste Roger ont été décorés, Légion d’honneur pour le premier et ordre du Mérite pour les deux, les personnalités politiques font plus régulièrement appel à eux, et les rapports officiels se multiplient sur l’urgence de la situation. En vue, un système d’alerte généralisé par SMS en 2022, et puis, dans la ligne de mire: la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024. Pour Gaël, qui participe à la conception du nouveau système: “Les gens seront beaucoup plus rassurés si on les prévient des risques, si on les informe sur les manières de réagir, plutôt que de leur dire: ‘Dormez bien, on s’occupe de tout!’ Car les problèmes peuvent survenir n’importe quand, et sous des formes inattendues. Comme par exemple, une épidémie mondiale. “On voit qu’il y a encore un peu de boulot quand quelque chose comme le COVID-19 survient”, pointe Roger. Mais pas question de se laisser abattre, au contraire. Pour rectifier le tir, une petite équipe de hackers dont fait partie Gaël Musquet, menée par Antoine Berr, s’est tout de suite mise au travail pour développer “MUR”, comme “Minimal Universal Respirator”. Un “dispositif de respiration artificielle d’urgence” à reproduire pour pallier le manque dans les hôpitaux. Engagé le 16 mars 2020, le dispositif a pu être testé dans les hôpitaux dès le début du mois d’avril.

Par Lucas Minisini.
Portrait issu du 1er numéro de So good.