C’est la nouvelle plaie du web. Variante du revenge porn, le phénomène des “comptes fisha” – “affiche” en verlan – a explosé durant le premier confinement. De ce fléau est né le collectif Stop Fisha qui, chaque jour, traque les comptes diffusant les photos intimes de femmes contre leur gré et accompagne les victimes.
Mars 2020, la France est confinée. Shanley – militante féministe très active – fait la connaissance via sa sœur de l’existence des comptes fisha: ces comptes sur Instagram, Telegram et Snapchat qui affichent des photos intimes (nudes) de jeunes femmes ou hommes à leur insu, avant de se livrer à du harcèlement à l’encontre de ces victimes. On constate que 40% des moins de 50 ans ont déjà subi des attaques répétées sur les plateformes sociales en ligne. Parmi eux, 22% ont entre 18 et 24 ans. Après un message d’appel à la mobilisation sur Twitter, la jeune militante s’entoure de douze femmes avec qui elle lance le collectif Stop Fisha. Parmi elles, Rachel-Flore Pardo, avocate au barreau de Paris. “On a lancé ce projet alors que nous étions confinées aux quatre coins de la France, se souvient-elle. L’idée de créer des comptes pour se moquer d’autrui ne date pas d’hier, mais le confinement a accentué le phénomène des cyberviolences. Quelque part, il n’y avait plus la ‘rue’ pour agresser ses victimes.” Aux côtés des cofondatrices, une vingtaine de bénévoles aident à la gestion quotidienne de l’association, tandis qu’une autre soixantaine contribuent à la signalisation de comptes pratiquant le revenge porn, le slut-shaming, les dick pics, ainsi que les “comptes fisha”. Bref, tout ce qui a trait à l’intimité et à la sexualité d’une tierce personne sans son consentement.
Rachel-Flore Pardo, avocate et membre du collectif Stop FishaPour chacune des cyberviolences, il y a un ou plusieurs textes du code pénal qui permettent de la réprimer.
Aujourd’hui, Stop Fisha compte plus de 26 000 abonnés sur Instagram. Une petite armée qui ne cesse de s’agrandir et dont l’action se divise en trois missions: le signalement des comptes – en lien avec la plateforme Pharos et Netcoute qui porte les demandes de suppression de comptes –, l’accompagnement moral et juridique des victimes et, enfin, la sensibilisation de tous les citoyens au cybersexisme. “C’est aussi dans cet objectif que nous avons écrit notre livre”, précise Rachel-Flore Pardo. En effet, le collectif a publié en octobre dernier Combattre le cybersexisme: “Le premier ouvrage français consacré en la matière qui se veut être une sorte d’abécédaire des cyberviolences sexistes et sexuelles”, indique l’avocate. À travers cet ouvrage, le collectif a tenu à apporter des débuts de solution, ainsi que donner aux victimes et témoins les bons réflexes pour réagir. “La grande difficulté est que l’on n’arrive pas à retrouver les auteurs, les plateformes refusant de dévoiler leurs identités. Dans le livre, je réalise à chaque fois un diagnostic juridique de la situation. Et vous allez voir que pour chacune des cyberviolences, il y a un ou plusieurs textes du code pénal qui permettent de la réprimer.” L’avocate pointe aussi du doigt d’autres lacunes, notamment le manque de connaissances des policiers et l’absence totale de coopération des plateformes. Sans surprise, Telegram est l’ennemi no1. Si le gouvernement a commencé à riposter, Rachel-Flore Pardo estime que ça ne va pas assez loin. “Il n’y a qu’à voir la loi Avia contre la haine en ligne qui a été censurée par le Conseil constitutionnel, regrette l’avocate. C’est d’autant plus frustrant lorsque vous voyez des comptes se réactiver. Mais c’est notre combat, et on ne va pas le lâcher.”
Article issu du n°7 du magazine So good, sorti en kiosque le 16 décembre 2021.
Propos recueillis par Ana Boyrie.