Visuel “Avec la crise de l’aéronautique, l’ESS toulousaine est plus importante que jamais“ Saint-Pierre Bridge reflecting in Garonne river and Dome de la Grave at sunset in Toulouse, France
02.08.22

“Avec la crise de l’aéronautique, l’ESS toulousaine est plus importante que jamais“

Pour comprendre l’ancrage de l’économie sociale et solidaire (ESS) à Toulouse, le So good Tour a pu échanger avec Alexandra Veland, cheffe de projet économie solidaire et innovation sociale de la métropole. Elle raconte comment la ville rose s’est investie de la question, au point d’installer son incubateur social au coeur de Bellefontaine, « une sorte de Nanterre toulousain ».

Quand on a la taille d’un pays, il arrive qu’on ait la culture d’une nation. L’Occitanie, c’est deux fois la superficie de la Belgique, et en matière d’histoire comme de culture, la région n’a pas de quoi rougir. Prenons la langue d’oc, qu’on appelle aussi l’occitan. Très proche du catalan, cette langue littéraire chantée par les troubadours fut pendant des siècles celle de toute la France du sud. Aujourd’hui, elle est encore parlée par 1 670 000 personnes selon le ministère de la Culture, et ce malgré des décennies de conversion linguistique musclée. Une langue que parlent aussi les catalans, et qui révèle en creux l’influence espagnole sur l’Occitanie. Il faut dire que leur géographie est propice au voisinage, et que la dictature franquiste de 1939 a nettement favorisé la migration d’un demi-million de réfugiés espagnols vers l’Occitanie, faisant de la ville rose un haut lieu de convivencia. Dernier élément, cette fois peu liée à l’Espagne, l’industrie aéronautique et spatiale, devenue vitrine mondiale de la région depuis la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, l’aéronautique occitan, c’est 1620 entreprises qui emploient près de 100 000 personnes. Rien qu’à Toulouse se trouve un quart des emplois aéronautiques français, et le siège du groupe Airbus. Plutôt balèze. “Mais avec la crise du transport aérien, des milliers d’emplois ont été perdus“, rappelle Alexandra Veland, cheffe de projet ESS à la métropole de Toulouse. “C’est aussi pour ça que l’économie sociale et solidaire est plus importante que jamais : pour aider les plus défavorisés bien sûr, mais aussi pour diversifier le tissu économique local et développer des emplois non-délocalisables“. Une résilience que la métropole et les acteurs de l’ESS construisent au long cours. “Ça fait dix ans qu’on co-construit une nouvelle politique publique en faveur de l’ESS. Ça a commencé en 2011 sous mandat socialiste avec un diagnostic de territoire co-réalisé avec les acteurs locaux de l’ESS“. Une méthode qu’avait déjà utilisée la ville de Nantes auparavant, dont Alexandra reconnaît s’être inspirée. “Ce diagnostic a permis de sortir de terre une trentaine d’ateliers collaboratifs avec une volonté d’aider les moins favorisés. Au Mirail par exemple, où la majorité des logements sont sociaux, on a rapidement développé la création de garages et cafés associatifs, d’épiceries solidaires.“

(Ci-dessus, écoutez le troisième épisode de Direction Demain, enregistré à Toulouse auprès du Drive tout nu, un drive 0 déchets).

Bigflo et Oli seraient fiers

Après dix ans de travail, la métropole de Toulouse a parcouru un beau chemin. Selon elle, 33 000 salariés de la métropole travaillent dans l’ESS. En termes de structure, cela représente 2600 associations et 340 coopératives. Les rappeurs Bigflo et Oli seraient fiers, eux qui sont nés à Toulouse et ont participé à plusieurs actions de solidarité au cours de leur jeune carrière. En demandant à Alexandra les plus belles initiatives, la cheffe de projet ne sait par où commencer. “On a par exemple la Glanerie, une ressourcerie installée depuis 2003 et dont le but est de favoriser le réemploi d’objets usagés. Il y en a aujourd’hui deux à Toulouse. On y vend des objets d’occasion à petits prix, on y organise des ateliers de sensibilisation à la consommation responsable, le tout avec l’emploi de personnes en transition professionnelle“, résume celle qui accompagne des projets d’ESS depuis 13 ans déjà. “Plus récemment, on a accompagné la recyclerie HexEco. Ce sont deux femmes qui ont créé une recyclerie du sport pour lutter contre la vie trop courte de nos vêtements techniques. On veut créer une synergie avec la coupe du monde de rugby prévue à Toulouse pour 2023“. Le milieu de l’ESS étant un petit monde, les bureaux d’HexEco sont installés dans une structure que la métropole a également accompagné dans son développement. “Morgane et Rosine sont chez Herbes Folles, un tiers lieu d’économie circulaire et sociale. On essaye toujours de produire de la coopération entre acteurs, et la meilleure manière de le faire, c’est encore de bosser aux mêmes endroits“. La preuve, l’incubateur d’innovations sociales Première Brique, co-porté par Toulouse Métropole et France Active, est lui aussi installé au coeur d’un tiers lieu, dans le quartier populaire de Bellefontaine, au Mirail. “Les six femmes de l’équipe ont leur bureau dans les Imaginations Fertiles, un lieu hybride lancé par quatre autres femmes en 2013“, glisse Alexandra. Comme souvent dans les métiers du care et de la solidarité, les premiers de cordée sont les femmes. “Il y a là-bas une émulation permanente. Grâce aux ateliers de fabrication, on fait du prétotypage – phase avant le prototypage – afin de formaliser une idée avant son expérimentation. Ça peut être un objet, un service. On a par exemple participé à la création d’abris sensoriels dans une médiathèque, puis dans une station de métro, pour des personnes fragiles psychologiquement.“Toute une série de projets conduits sur le long terme, dont l’alternance politique municipale ne perturbe visiblement pas le bon déroulement selon Alexandra. “Les fondations de l’ESS sont solides. Notre politique publique vient du terrain et répond à des besoins fondamentaux. Le bord politique opposé ne peut démolir ce qui a été fait. D’ailleurs l’impulsion de l’ESS a Toulouse vient de la gauche, mais l’équipe a grossi sous la droite.“ Résister et prospérer malgré l’alternance, voilà peut-être le symbole le plus fort d’une ESS enfin considérée par tous comme une alternative sérieuse au néolibéralisme ambiant.

(Ci-dessus, écoutez le troisième épisode de Son fief, sa bataille, enregistré à Toulouse auprès du d’Enercoop, la coopérative dédiée à l’énergie verte, locale et citoyenne).