Pendant que certains s’ennuyaient ou se mettaient au yoga, les soignants étaient au front de la guerre contre le coronavirus. L’occasion pour certains de mener une intense double vie. C’est le cas d’Émilie Delaunay, autrement connue sous le nom de Liza Del Sierra, ancienne actrice porno et désormais réalisatrice. Qui, par choix, a rejoint le front tout au long de la crise sanitaire.
Sur son Instagram, c’est une alternance entre messages “restez chez vous” en blouse large d’infirmière, sans maquillage, quelques stylos Bic dans la poche, et des selfies plus travaillés et moins habillés qu’elle appelle ses “confinus”. Pour Émilie Delaunay, le confinement a été double –et doublement fatigant. Dans les couloirs de l’hôpital, elle ressemble pourtant à n’importe quelle élève infirmière dévouée et un peu trop débordée. Mais “il suffit d’une personne” qui la reconnaît, raconte-t-elle, pour être démasquée même en blouse blanche. Il faut dire qu’en 2012, Liza Del Sierra a été nommée quatre fois aux AVN Awards, les Oscars du X. Si aujourd’hui, elle est derrière la caméra, il n’empêche qu’elle fut longtemps devant. “Pour certains employés de l’hôpital, ça peut être perturbant. C’est une information dont les gens ne savent pas trop quoi faire. Imagine, t’es brancardier, tu croises la réserviste et tu tombes sur quelqu’un qui t’a fait fantasmer!” rit-elle. De toute façon, Émilie n’a pas eu le temps d’y réfléchir: à peine son stage de deuxième année d’école d’infirmière annulé, elle a été mobilisée par la réserve sanitaire. Direction l’Oise et l’hôpital Creil-Senlis, l’un des plus exposés de France au début de la crise sanitaire.
Premier soir, premier choc. Sur vingt-deux patients en réanimation, dix-sept patients ne passent pas la nuit. Peut-on vraiment être prête à affronter un tel foutoir? Pas vraiment. “On a fait face à des situations auxquelles on n’était pas préparés”, souffle l’étudiante infirmière. Dans un hôpital submergé, son quotidien de réserviste est bien rempli. Elle est chargée des patients qui arrivent des urgences ; “être réserviste, c’est savoir discuter avec les malades, le personnel, repérer les besoins… On est là pour les patients, mais aussi pour les équipes médicales.” Il faut soigner, mais aussi soutenir moralement ceux qui sont débordés. Et très isolés. Les quinze premiers jours, il leur est même recommandé de ne pas se réunir au même endroit. “C’était très long. Quand tu te nourris avec une bouilloire, que tu ne croises personne et que tu travailles 12 h par nuit, le moral en prend un coup.” Et puis vite, trop vite, viennent les dilemmes éthiques: doit-elle vraiment refuser aux familles le droit de voir leurs proches une dernière fois? Pas possible pour Émilie. “J’appelais les familles et je leur disais de venir avant qu’on ne s’occupe des corps.” Après ses nuits à l’hôpital, la jeune femme rentre à l’hôtel mis à disposition des réservistes. Sa deuxième journée de travail commence. Celle-ci se déroule plutôt en ligne. Il faut répondre aux commentaires, publier du contenu, discuter…. Une communauté, ça s’entretient et ça s’alimente. Heureusement, Liza Del Sierra a tout prévu ; avant de partir dans l’Oise, elle a fait le plein de photos dénudées pour alimenter ses réseaux payants, Onlyfans et MYM, sur lesquels elle publie quotidiennement, sans pour autant cacher son engagement. “Je ne veux pas trop jouer la carte de l’infirmière. Mais ceux qui me suivent le font aussi pour ma façon de vivre et pas seulement parce que je suis bonne.” Puis enchaîne: “Ce n’est pas moi qui le dis!”
Douze kilos perdus
À force de le côtoyer de trop près, Émilie, comme beaucoup d’autres soignants, a fini par être contaminée par le Covid. “Je n’ai pas pu achever ma dernière semaine de mobilisation. J’ai passé quatre jours dans une chambre à souffrir.” Problèmes respiratoires, fièvre, fatigue… L’apprentie infirmière a droit à la totale. C’aurait pu être l’occasion de souffler, mais Émilie décide pourtant d’enchaîner, une fois guérie, avec un stage au SAMU. Elle est habituée: réalisatrice et productrice de films X en parallèle de ses études, elle tourne généralement sur ses vacances. L’actrice perd quand même douze kilos et développe des problèmes cardiaques. Surtout, dans l’Oise, les soignants n’entendent pas les applaudissements de la capitale. “On s’est sentis extrêmement délaissés, on a vu qu’à Paris il y avait du soutien, des initiatives en faveur du corps médical. Mais dans l’Oise, on n’a rien eu et c’était dur.”
Je ne veux pas trop jouer la carte de l’infirmière. Mais ceux qui me suivent le font aussi pour ma façon de vivre et pas seulement parce que je suis bonne
Émilie Delaunay
Aujourd’hui, elle fustige sur Twitter la prime d’État promise aux soignants: “On l’attendait et la voici, la ‘prime de l’État’ au personnel soignant… 24 euros par kilo perdu, moins cher qu’une côte de bœuf.” Pour elle, ce n’est pas vraiment une question d’argent. “Ce n’est pas que j’en ai besoin, c’est symbolique. Déjà, c’était irrespectueux de promettre de l’oseille, mais en plus quand on ne le donne pas … Je trouve ça déplorable. On avait promis 1500 euros, mais finalement, qui les a eus?” Ce n’est pas sa seule inquiétude concernant l’état du monde médical. Le système de tarification à l’activité (T2A)? “C’est une connerie.” Les prestations hospitalières? “Ce ne sont pas des biens de consommation!” Si Émilie critique facilement les failles du milieu hospitalier, elle ne s’aventurerait pas sur le terrain de la politique: “Je ne me positionne pas publiquement sur le sujet. Si je le faisais, ma communauté serait sûrement surprise.”
De la même façon, à l’hôpital, Émilie ne parle jamais de Liza Del Sierra. L’intégration dans les milieux hospitaliers n’a pas toujours été facile. “Là, en tant que réserviste, il y avait un gros besoin et tout s’est bien passé. Mais en tant qu’étudiante infirmière, je me sens obligée d’être dix fois plus compétente que n’importe qui d’autre, car quand les gens découvrent mon passé d’actrice, je préfère qu’ils me connaissent et me respectent déjà en tant qu’étudiante.” Car Émilie est sûre qu’elle veut passer ses prochaines années à aider les autres: “L’expérience de la pandémie a été révélatrice pour moi, je sais que je ne me suis pas trompée de voie.” Sur son Twitter, en dessous d’une photo de nue, elle affiche fièrement: “étudiante infirmière mobilisée”.
Article issu du n°2 du magazine So good, sorti en kiosque le 24 septembre 2020.
Texte et photo : Vincent Bresson.