Visuel Ô H20 : l’énergie solaire au service de l’eau potable
16.01.23

Ô H20 : l’énergie solaire au service de l’eau potable

Boire de l’eau, potable cela va sans dire. Aujourd’hui, ce geste essentiel est hors de portée pour 418 millions d’Africains. Pour contrer cette situation, la start-up germano-kényane WaterKiosk Africa a conçu des machines de désalinisation fonctionnant grâce à l’énergie solaire. Un système qui offre le triple avantage d’être simple, peu polluant et peu cher, tout en créant des emplois locaux. Quatre-vingts villages du Kenya sont déjà conquis.

“Je peux nourrir les poissons?”, demande une adolescente en uniforme bleu marine, penchée au-dessus d’un bassin où nagent une poignée de jeunes tilapias. Ce mardi matin à la Masaku Primary School for the Physically Disabled, (l’école pour enfants en situation de handicap de Machakos), située à un peu plus d’une heure de Nairobi, la classe de Monsieur Thomas M’Buru est en plein atelier de travaux pratiques. Tous s’activent au potager et dans la ferme piscicole. “Ça leur permet d’observer le développement des végétaux, des animaux, et de comprendre ce dont ils ont besoin pour vivre et grandir”, s’enthousiasme l’enseignant. L’installation, WaterKiosk de son petit nom, fonctionne grâce à un système de dessalement de l’eau installé dans l’établissement scolaire depuis près d’un an par WaterKiosk Africa, une start-up germano-kenyane. Et, petite révolution, le tout fonctionne à l’énergie solaire. La technique utilisée est celle de l’osmose inverse, nom savant pour désigner le processus suivant: la machine pompe l’eau des puits et autres réservoirs grâce
à l’énergie du soleil, puis l’envoie vers des filtres très fins, à charbon puis à UV, qui retiennent tous les minéraux et bactéries, en laissant passer les molécules d’eau. L’eau, dessalée, mais encore impropre à la consommation, est collectée entre les différentes étapes de filtration, et réutilisée pour alimenter deux petits bassins piscicoles et irriguer un potager. Après avoir distribué des granules aux poissons, quelques élèves de Monsieur Thomas M’Buru plongent tour à tour un arrosoir dans les bassins pour abreuver épinards, pommes de terre et fraises qui sortent timidement de terre, dans leur jardin. “Cette production sert ensuite à nourrir les élèves”, sourit N’Dunda N’Deto, le chef d’établissement. La machine, “estampillée Deutsche Qualität”, est capable de produire 12 000 litres d’eau potable par heure. Lesquels sont ensuite expédiés en direction de châteaux d’eau posés sur pilotis, à plusieurs mètres du sol. Une fois l’eau potable stockée, les employés remplissent gratuitement les bouteilles et les bidons des écoliers et de leurs enseignants. Les habitants de Machakos peuvent aussi en profiter moyennant quelques dizaines de shillings kényans (1,15 euro pour 20 litres d’eau). Du matin au soir, les gens du coin se pressent devant le petit kiosque. “Ici, l’eau est moins chère qu’à la concurrence. Elle est aussi meilleure au goût, et au moins on sait d’où elle provient”, explique un client abrité du soleil sous l’auvent. Selon la société, ses machines réduiraient le coût de l’accès à l’eau de 90%.

Avant, c’était horrible de boire l’eau salée

La machine a changé le quotidien de tous. Fini l’obligation de boire une eau salée, mais aussi de se laver ou de faire la lessive avec. “Avant, c’était vraiment horrible de l’utiliser ou d’en boire, alors que maintenant on aime ça”, s’empressent de témoigner les adolescents. Au Kenya, comme partout en Afrique, l’eau potable est une denrée rare. Selon l’UNICEF, sur 1,3 milliard d’habitants, 418 millions en sont privés. Ceux qui ont le privilège d’y avoir accès boivent de l’eau en bouteille, utilisent des filtres à charbon à domicile ou fréquentent des kiosques à eau qui peuvent être gérés par des employés des services publics, des opérateurs indépendants sous contrat public ou par des comités de l’eau composés de bénévoles. Bien souvent, les machines utilisées fonctionnent grâce à des générateurs diesel, faute de réseau électrique stable. Mais, outre WaterKiosk Africa, plusieurs entreprises ont développé des systèmes de traitement de l’eau à l’énergie solaire, qui présentent de nombreux avantages: une énergie quasi gratuite et inépuisable, une empreinte sur l’environnement moindre, et une infrastructure légère permettant d’installer ces dispositifs plus facilement. WaterKiosk Africa, quant à elle, propose deux options: Winture Planet Cube, kiosque à eau à l’énergie solaire donc, et sa version pimpée, le fameux WaterKiosk utilisé à Machakos qui réunit ferme verticale et aquacole. Une machine coûte généralement plusieurs dizaines de milliers d’euros, mais, à Machakos, explique Thomas M’Buru, “on a cherché un mécène, et finalement, un de leurs partenaires nous l’a offerte”. L’idée est, à terme, d’équiper l’intégralité des kiosques de la société avec ce dispositif. “Disposer d’une solution intégrée d’approvisionnement en eau potable, en eau d’irrigation et en électricité pour les agriculteurs et les villageois du monde entier est une clé pour accroître leur résilience face aux impacts croissants du changement climatique”, explique Hamed Benheshti, l’un des associés fondateurs de la société, sur le site internet de WaterKiosk. Certains kiosques produisent déjà de l’électricité et permettent aux villageois de recharger leurs appareils électriques, comme leurs téléphones portables. C’est notamment le cas à Shimoni, sur la côte kényane, aux abords de Mombassa. Dans ce petit village, la machine a été financée par une mission musulmane, et dans la mosquée, les habitants, religieux ou pas, peuvent venir brancher leurs appareils. En attendant l’optimisation de toutes ses machines, WaterKiosk Africa s’implante doucement, mais sûrement dans le pays et au- delà. “Nous avons des projets à travers toute l’Afrique, dans le Golfe, mais aussi en Polynésie française où nous avons a priori trouvé un nouveau marché”, se félicite Hamed Benheshti, assis derrière son modeste bureau au premier étage du vaste entrepôt de la société, en périphérie de Nairobi. Au rez-de-chaussée, des dizaines de machines, de différentes tailles, fabriquées à Berlin, sommeillent sous des films plastique en attendant d’aller prendre place dans les villages du pays. “Elles sont déjà toutes vendues ou réservées”, s’empresse de préciser l’associé allemand. Plus de 80 machines sont actuellement en service sur le territoire kényan, et une centaine d’autres sont déjà commandées.

Si l’entreprise aujourd’hui est florissante, c’est grâce à la rencontre de ses deux cofondateurs Samuel Kinyanjui et Hamed Benheshti, lors d’une conférence à la chambre de commerce en Allemagne, en avril 2017. Sur scène, Hamed évoque Boreal Light GmbH, la société de traitement de l’eau qu’il a montée avec Ali Al-Hakim, son premier associé allemand, ingénieur. Samuel, ingénieur de formation, est conquis. En rejoignant l’entreprise, il pourrait contribuer au bien-être de son pays natal, le Kenya. Deal, la filiale WaterKiosk Africa voit le jour. Les trois hommes échafaudent ensemble les plans d’une nouvelle machine, plus performante et écologique que la précédente, et mettent au point un nouveau business model. “Je tenais à faire du B2B et du B2C”, lance Hamed dans le wording de la start-up nation – comprendre, à faire du commerce à la fois avec les particuliers et les entreprises. Effectivement, dans la majeure partie des cas, l’entreprise vend de l’eau aux particuliers, en installant ses machines dans les villes ou villages. Mais il lui arrive aussi d’écouler directement
la machine de désalinisation à des privés comme à des hôtels ou à des hôpitaux. La société reçoit également des aides, comme celle de l’Agence pour le développement allemand. La suite s’enchaîne rapidement. Ils installent une puis deux puis dix machines. D’abord sur la côte océanique, au sud-est du pays, aux abords de Mombasa. “La première était sur l’île de Wasini, face au village de Shimoni”, se souvient Hamed. Logique, après tout, il s’agit d’une machine de désalinisation. Mais malgré les idées reçues, la salinité n’est pas seulement un problème de bord de mer. “Si vous allez à Naivasha, à 600 kilomètres de la côte dans les terres, l’eau est aussi très salée parce qu’elle est contaminée au fluorure de sodium. C’est souvent visible sur les dents jaunes, voire orange des habitants”, poursuit l’entrepreneur. La salinité de l’eau comprend donc le sel, mais aussi le chlorure, le fluorure de sodium, le calcium, le sodium, le nitrate, les minéraux ou encore de nombreuses bactéries. “Nous, on retire absolument tout”, précisent les associés.

Engagement des communautés locales

Disposer d’une solution intégrée d’approvisionnement en eau potable, en eau d’irrigation et en électricité pour les agriculteurs et les villageois est une clé pour accroître leur résilience face aux impacts croissants du changement climatique.

Avant d’en arriver là, il a d’abord fallu réaliser un fastidieux travail de pédagogie sur le terrain: réunir les sages et anciens du village, leur présenter le kiosque, son fonctionnement et le coût de l’eau une fois celle-ci rendue potable.
La plupart du temps, le projet a bien été accueilli dans les villages où l’eau salée empoisonne littéralement la vie des habitants. Outre son goût infâme, l’eau non dessalinisée est à l’origine de nombreuses maladies: diarrhée, choléra ou encore problèmes de rein. Pourtant, les villageois se montrent parfois réticents, voire réfractaires à l’idée d’installer l’un des kiosques au sein de la communauté. “On a eu quelques histoires comme ça, l’une parce qu’on avait installé une machine à mi- chemin entre deux villages et qu’ils s’en disputaient la propriété. Et une autre où les habitants nous ont dit que ce n’était pas à eux de payer, mais à nous. Dans ces deux situations, on a dû la retirer”, rembobine Hamed Benheshti. Pour que ce genre d’impairs ne se produisent plus, WaterKiosk Africa fait désormais appel à des intermédiaires locaux formés par ses soins. Une manière de dissiper les malentendus et d’éviter les incidents diplomatiques. Medina, la vingtaine, a récemment été embauchée pour faire des “relations publiques”. Avant l’installation d’une machine dans un village, la jeune femme convoque le chef, les services médicaux et certains représentants des villageois.

« Le changement est rarement accepté du premier coup, mais au regard des maladies que beaucoup contractent et après plusieurs semaines ou mois d’explications et de concertation, on finit généralement par convaincre tout le monde des bienfaits du WaterKiosk”, témoigne-t-elle en arborant un large sourire. Comme la plupart des opérateurs, elle a été embauchée parce qu’elle était jeune et originaire d’un petit village kényan. “Nous tenons à impliquer les nouvelles générations dans les villages où nous nous implantons et à leur donner accès à un emploi et une situation stable”, commente Samuel Kinyanjui. En tant qu’entreprise sociale et solidaire, la société accorde une importance particulière à l’engagement des communautés locales dans ses projets, qui draine la création de trois emplois permanents et de dix emplois à valeur ajoutée. Medina se souvient de l’arrivée de la machine dans son village, avant qu’elle ne rejoigne WaterKiosk Africa. “J’étais hyper contente parce que toute ma vie, j’avais été condamnée à boire de l’eau salée.” Pour rejoindre la start- up, elle a suivi un parcours bien balisé. Avant chaque installation de kiosque, les associés organisent une campagne de recrutement parmi les jeunes du village. Ils sélectionnent une dizaine de candidats, les auditionnent et deux sont retenus pour suivre une formation à Nairobi. “Pendant une semaine, nous leur apprenons la politique de l’entreprise, le mode de fonctionnement de la machine, comment en parler ou régler les petits problèmes ou pannes qu’elle peut rencontrer”, indiquent Samuel et Hamed. Depuis l’implantation de sa première machine dans le pays, l’entreprise aurait évité l’émission de centaines de tonnes de CO2. Les crédits monoxyde de carbone sont ensuite revendus à l’international par l’intermédiaire d’Atmosfair – WaterKiosk Africa étant dans le giron du “système communautaire d’échange de quotas d’émission” de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). “Vu le coût de fabrication d’une machine, l’argent est réinjecté dans l’entreprise pour pouvoir continuer notre travail au Kenya. C’est comme ça qu’on a pu financer celle de Diani (station balnéaire aux abords de Mombassa NDLR), précise Hamed Beheshti. Des succès à mettre au crédit du solaire et de quoi éclairer, peut-être, la longue route qu’il reste à parcourir pour rendre réel le 6e objectif de développement durable (ODD) de l’ONU prévoyant l’accès universel à l’eau potable d’ici à 2030.

PAR LOUISE AUDIBERT, À MACHAKOS, KENYA
Article paru dans le 10ème numéro de So good, à découvrir ici.