Visuel Les gratte-ciels en bois-béton : fausse bonne idée ?
12.10.23

Les gratte-ciels en bois-béton : fausse bonne idée ?

L’Australie est en train de construire les deux plus hautes tours bois-béton du monde. Pas moins de 191 mètres à Perth et 180 mètres à Sydney. Nous avons demandé son avis à Karima Lebsir, architecte experte en économie circulaire et réemploi des matériaux, également confondatrice de l’application Cycle Zéro. Décryptage.

Le gratte-ciel de Perth sera construit grâce à 600 arbres… provenants de forêts durables – tout de même. Elle fera 50 étages et accueillera 237 logements. Une ferme urbaine et un jardin sont également prévus sur le toit. Le bois n’aura jamais été aussi près du ciel… et les légumes comme les animaux de la basse cour auront la tête dans les nuages. Pour réussir à aller aussi haut, les ingénieur.e.s ont prévu d’enrober la tour d’une résille d’acier. 

Est-ce que ce genre de projet est véritablement “neutre en carbone”? 

La neutralité carbone signifie que toutes les émissions de CO2 dans l’atmosphère résultant des activités d’une entreprise, sont compensées par l’élimination d’une quantité équivalente. Dans le cas des tours de bois, ce qui m’interpelle, c’est que le matériau est composé à 58% de béton et d’acier et seulement à 42% de bois. Je vois mal comment l’acier, qui est le pire matériau en fabrication et génère le plus de CO2, peut compenser un minimum de bois. Surtout que le bois qui est utilisé n’est pas du bois brut. C’est du lamellé collé : un mélange de bois, de colle et de copeaux dont on ne connaît pas la provenance. Comment savoir si ce matériau est réutilisable? Il faudrait une Analyse de Cycle de Vie des matériaux. Et si ce matériau est réutilisable, comment décompose-t-on les copeaux de bois de béton pour le réutiliser, le réemployer, le recycler ? Ca m’interpelle un peu quant à la compensation éventuelle de ces matériaux hyper polluants face à un bois contaminé.  

Est-ce qu’il y a d’autres projets similaires en France ou ailleurs? 

Il existe un projet similaire à Milwaukee aux Etats-Unis, une tour de 86 mètres réalisée avec ce fameux matériau de bois béton. Et il y en a deux autres à Courbevoie, commandés cette année par la Défense, de 39 à 45 mètres. Mais sans retour réel de l’impact de ce type d’édifice, il m’est difficile de croire qu’on a trouvé la perle rare, la tour qui fonctionne et qui n’émet pas de CO2. 

Est-ce que le gigantisme est forcément anti-écologique? 

Ce qu’on appelle le gigantisme, c’est la tour, qui est née d’une question de rentabilité foncière. Sur une même parcelle, on peut vendre plein de mètres carrés, donc c’est forcément rentable. L’hérésie dans ce projet, selon moi, c’est qu’on construit une ferme urbaine sur le toit de ces fameuses tours. Si je fais rapidement le calcul, les tonnes de terre qui vont être hissées au-dessus de ces tours représentent à peu près 10 wagons de trains. Faire des fermes urbaines au sol serait beaucoup plus écologique. C’est un peu contradictoire avec l’idée de construire des édifices neutres en carbone. Il faut faire attention à l’écologie du blanchiment. C’est vachement à la mode de dire que tel ou tel édifice va révolutionner le monde de l’architecture, va être économe en carbone… À mes yeux, l’écologie, c’est aller au plus simple au niveau des dépenses énergétiques

Retrouvez notre interview 10 minutes pour sauver le monde avec Karima Lebsir.